Essais

Un périple vers la Baie James démontre que l'électrification à grande échelle est toujours aussi insaisissable

Lorsqu'il s'agit d'électrification, les opinions de la haute direction de Toyota Canada et celles de votre humble serviteur ne sont pas tout à fait alignés.

Je ne suis certainement pas un prophète de malheur – comme je l'ai déjà dit avec poésie par le passé –, mais je crois fermement qu'un changement complet dans la façon dont nous nous déplaçons est nécessaire si nous voulons lutter contre les effets du changement climatique. De leur côté, les dirigeants de Toyota au Canada pensent que les véhicules hybrides doivent jouer un rôle plus important dans notre transition vers un avenir sans émissions. Après avoir conduit deux modèles essence-électricité du constructeur sur les rives orientales de la baie James, je suis d'accord avec eux. Enfin, en grande partie.

Le coût élevé de l'hydroélectricité

Je suis toujours convaincu qu'il faut abandonner les combustibles fossiles – et vite – si nous voulons sauver la planète pour que les générations futures puissent en profiter. Mais je ne pense pas non plus que les véhicules électriques (VE) soient la solution, du moins sous leur forme actuelle. Les gros blocs-batteries gonflés qui mettent une éternité à ravitailler ne sont pas la solution idéale dans n'importe quelle région du pays, et encore moins dans une région aussi isolée que le nord du Québec.

Voilà une région totalement inhospitalière pour l'électrification, ce qui est paradoxal compte tenu de l'histoire de la région en matière de production d'hydroélectricité. Ce n'est pas seulement une question de climat ; la rareté des bornes de recharge pour véhicules électriques est alarmante, leur nombre diminuant au même rythme que les conditions hivernales qui s'aggravent pendant ce trajet de février. En fait, une recherche superficielle – ainsi qu'un peu d'exploration à quatre roues – a permis de trouver une seule borne de recharge de niveau 2 en route vers Chisasibi, au Québec, à quelque 680 km au sud. Même l'imposante centrale Robert-Bourassa, une énorme installation hydroélectrique située à proximité, n'offre pas d'endroit public où se brancher.

Au-delà de cette ironie amère, le barrage et d'autres ouvrages similaires ont fait payer un lourd tribut à la région. En fait, le village de Chisasibi lui-même n'a été créé qu'après que les cours d'eau voisins, détournés pour alimenter l'énorme projet hydroélectrique, ont entraîné l'érosion de l'île qui servait autrefois de lieu de résidence et de centre de la communauté crie de la région. D'innombrables kilomètres carrés du territoire traditionnel des Cris ont été enveloppés par l'augmentation du débit d'eau, et Eddie Pashagumiskum, un ancien de la région, estime qu'environ 80 % de ses propres terres ont été perdues à cause des inondations. Il ne fait aucun doute que la fourniture d'électricité aux habitants de la province a eu un coût.

Le voyage à venir

En montant à bord de nos deux Toyota à quelque 1 600 km au sud de notre destination, les non-initiés, dont je fais partie, ressentent une certaine curiosité. Notre chef de facto dans cette aventure vers l'inconnu est le chroniqueur automobile chevronné Mark Richardson, qui a effectué ce trajet pour la dernière fois il y a une dizaine d'années. Beaucoup de choses ont changé depuis, comme il l'apprendra bientôt, mais il est aussi impatient que le reste d'entre nous de prendre la route.

Il a choisi la Prius récemment révisée – et outrageusement élégante – comme modèle de prédilection, tandis que j'ai plaidé avec succès pour la version essence-électricité du RAV4. Il s'agit d'une paire logique pour un certain nombre de raisons, dont la moindre n'est pas ce qu'elles signifient pour le marché dans son ensemble. Après tout, la Prius est la voiture qui a fait connaître la motorisation hybride aux Canadiens il y a plus de 20 ans, tandis que le RAV4 est le véhicule le plus vendu au pays, si on exclut les camionnettes pleine grandeur de l’équation.

Deux autres personnes se sont jointes à nous dans cette aventure, qui est à la fois brillante et folle, si vous voulez mon avis. Après tout, il faut une certaine dose de bravoure pour s'inscrire à un tel projet, avec plus de 3 000 km de conduite prévus dans les jours qui suivent. Mais lorsque l'occasion se présente, j'ai toujours eu pour principe d'ouvrir la porte. Je suis heureux que notre groupe, dont fait partie le journaliste allemand Jens Meiners, semble partager le même point de vue.

Il est bon de rappeler que nous sommes en février, mais les conditions ne le laissent pas présager. Certes, notre pays est sujet à des phénomènes météorologiques étranges et bizarres, quelle que soit la période de l'année, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Des semaines sans neige et des températures bien au-dessus du point de congélation sont loin d'être normales à ma connaissance, le Lower Mainland de la Colombie-Britannique et l'île de Vancouver étant les seules exceptions. Appelez cela un coup du sort, si vous voulez; pour ma part, j'y vois un changement climatique en pleine action.

Les personnes avec lesquelles j'ai discuté à Chisasibi et dans les environs ne craignent pas d'utiliser ce terme non plus. Comme nous le découvrirons bientôt, la glace de la baie James est beaucoup plus mince que dans leurs souvenirs, mesurant à peine un mètre d'épaisseur, et ce, après un été marqué par des incendies de forêt dévastateurs dans la région. Ils sont bien conscients de la crise à laquelle nous sommes tous confrontés en temps réel et qui entraîne des répercussions considérables dans la région.

Le fiable RAV4

Mais revenons à notre périple, si vous le voulez bien. Nous quittons Orillia, en Ontario, au moment où le jour se lève, pour prendre l'avance dont nous aurons besoin pour arriver à Matagami, au Québec, à la tombée de la nuit. C'est un peu plus qu'à mi-chemin de notre destination, et il se trouve que c'est là que je repère la dernière borne de recharge sur la route de Chisasibi. Je suis dans le RAV4 avec mon ami et collègue journaliste Kyle Patrick, dont l'employeur actuel est celui où j'ai fait mes premières armes dans ce domaine il y a quelques années.

Nous sommes tous deux impressionnés par la façon dont le RAV4 s'acquitte de sa tâche. Peu de gens qualifieraient ce multisegment d'excitant, mais ce petit côté fade – et surtout cette excellente réputation de fiabilité – lui a valu de nombreuses accolades au Canada et à l'étranger. Mis à part les problèmes d'approvisionnement, plus de la moitié des quelque 74 000 unités vendues au pays l'an dernier étaient soit la version hybride enfichable appelée Prime, soit cette variante hybride « conventionnelle », selon Toyota, et il est facile de comprendre pourquoi.

Au-delà de notre bataille constante avec la connexion sans fil Apple CarPlay, un problème qui a également affecté la Prius, tout dans ce multisegment est bien pensé. D'accord, les boutons de la climatisation sont minuscules, tout comme le texte identifiant la fonction de chacun d'entre eux, mais s'il existe un modèle plus simple dans ce segment, je ne peux pas le nommer. Simple, spacieuse et désarmante à conduire, cette machine fabriquée au Canada est un modèle de diplomatie sur route.

Nous avons toutefois relevé une tendance inquiétante qui perdurera tout au long des 3 400 km de ce voyage. Malgré une consommation combinée officielle de 6,4 litres aux 100 kilomètres, nous consommons 25 % de carburant en plus. Il faut mettre cela sur le compte du froid et de la vitesse à trois chiffres à laquelle nous roulons, mais cela enlève certainement de la valeur à l'argument de ce véhicule électrifié, le multisegment consommant plus d'essence qu'il ne le devrait pendant ce trajet.

Une berline sûre d'elle

Il en va de même pour la Prius, qui a terminé le trajet en ayant consommé 6,0 litres aux 100 kilomètres, contre les 4,8 litres estimés par RnC (Ressources naturelles Canada). Malgré tout, c'est un chiffre raisonnablement bas qui nous permet de tirer le meilleur parti du minuscule réservoir de 40 litres dont cette voiture est équipée. Naturellement, cela signifie que l'autonomie en croisière est inférieure à celle du RAV4, mais comme les endroits où faire le plein se font de plus en plus rares au fur et à mesure que nous progressons vers le nord, il est indispensable de maintenir le réservoir à niveau.

Il ne fait aucun doute que la Prius est avant tout une voiture urbaine, mais cela ne veut pas dire qu'elle ne peut pas se débrouiller sur l'autoroute. Bien qu'elle puisse, avec le temps, laisser de longues étendues de pavés poreux se répercuter dans vos paumes et votre postérieur longtemps après avoir quitté le volant, la suspension est souple par ailleurs et absorbe les bosses de la route de manière efficace.

La combinaison de la transmission intégrale désormais livrée d’office et des pneus d'hiver requis à cette époque de l'année dans la belle province font de la Prius un compagnon sûr au moment même où nous évitons les douzaines d'oiseaux blancs déguisés sur la surface enneigée de la route devant nous. (Enfin, la plupart d'entre nous les ont évités; celui que nous appelons le lagopède alpin n'a pas eu cette chance).

Pas une seule fois, nous n'avons eu à déplorer un mouvement ou une glissade indésirable sur la route sinueuse reliant Matagami et Chisasibi, ce qui est un exploit impressionnant compte tenu des conditions. La particularité de la Prius ne se limite pas à sa nouveauté. C'est une voiture qui est confortable, cool et qui inspire confiance, trois qualités qui sont peut-être des premières pour cette berline à essence et à électricité.

Le rouage intégral électrique

Ce qui rend l'approche de Toyota (à l'égard de ses hybrides) unique, c'est la manière dont le rouage intégral est utilisé. Le RAV4 et la Prius sont dotés de ce que le constructeur décrit comme des systèmes « électriques sur demande » qui fonctionnent indépendamment de la volonté du conducteur, sans parler du reste du groupe motopropulseur.

En effet, ce qui se trouve sous le capot – un moteur à essence et une paire de moteurs-générateurs électriques – n’a aucune incidence sur ce que font les roues arrière, du moins pas directement. Alors que la même batterie est utilisée pour alimenter les deux moteurs-générateurs, le moteur électrique arrière n'entraîne ces roues que lorsque c'est nécessaire, jusqu'à une vitesse d'autoroute; après cela, il se désengage. D'accord, ce n'est pas tout à fait « à la demande » comme le nom le suggère, mais la façon dont les deux véhicules se gèrent pendant ce trajet est d'autant plus remarquable qu'ils ont fonctionné la plupart du temps en deux roues motrices avant (traction).

Le mot de la fin

C'est en visitant le barrage Robert-Bourassa à la lumière du jour que l'on prend conscience de l'ampleur du projet. Plus de 15 000 mégawatts d'électricité circulent dans cette installation actuellement gelée près de Radisson, au Québec, et alimentent des maisons et des entreprises à des centaines de kilomètres au sud. L'installation semble modeste au loin, mais l'ampleur de l'évacuateur de crues est impressionnante, avec une chute de 100 mètres (328 pieds) depuis son énorme réservoir jusqu'à la rivière La Grande, en contrebas.

Il s'agit de la plus grande centrale hydroélectrique d'Amérique du Nord, responsable d'environ 20 % de la production électrique totale du Québec – une quantité stupéfiante à tous points de vue. L'idée qu'il en faudra encore beaucoup plus pour respecter les mandats imposés par les gouvernements fédéraux et provinciaux en matière de véhicules à émissions nulles, qui visent à éliminer progressivement la vente de véhicules tels que ceux que nous conduisons, est tout aussi déconcertante.

Selon l'objectif fédéral, les ventes de nouveaux véhicules à essence seront interdites à partir de 2035, tandis que les véhicules hybrides rechargeables (VHR) devront avoir une autonomie minimale de 80 km sans émissions pour rester sur le marché. Ces mesures reflètent les projets de pays tels que le Royaume-Uni et la Norvège, cette dernière qui semble en bonne voie d’atteindre son objectif cette année. Si le climat norvégien n'est pas si différent de celui du Canada, la nation scandinave est loin d'être aussi gigantesque. Et bien qu'elle abrite plus de quelques communautés presque aussi éloignées que Chisasibi, il existe déjà une infrastructure de recharge en place pour soutenir les plans du gouvernement.

C'est le genre de soutien qui manque actuellement dans de grandes parties du pays, ce qui rend indéniablement plus difficile la réalisation des objectifs du gouvernement. Cela nous ramène à l'initiative de Toyota en faveur de l'énergie hybride.

Bien entendu, il s'agit d'une entreprise dont l'activité consiste à vendre ce qu'elle construit actuellement, et il convient de la traiter comme telle. Avec seulement deux VÉ sur le marché à l'heure actuelle, contre environ deux douzaines d'hybrides répartis entre les marques Lexus et Toyota, il n'est pas étonnant que ses dirigeants fassent pression en faveur de ces dernières.

Mais si leurs affirmations sont vraies et que les quelque 100 000 « véhicules électrifiés » - essentiellement des modèles hybrides et hybrides rechargeables – que les deux marques ont vendus au Canada l'année dernière permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la même manière que si l'on mettait sur la route environ 38 000 véhicules sans émissions, des modèles comme la Prius et le RAV4 hybride (ainsi que leurs équivalents rechargeables) pourraient nous permettre de gagner le temps dont nous avons besoin pour faire les choses comme il faut.