La mondialisation. Le « juste à temps ». Des chaînes logistiques complexes. Le canal de Suez bloqué pendant six jours. Un incendie dans une usine de micropuces au Japon. La pandémie. L’incertitude. Les confinements. Le télétravail. Le cours du pétrole s’effondre. Un effondrement des ventes de véhicules attendu, un approvisionnement réduit en conséquence. Une épargne à des niveaux jamais vus. La consommation explose. Le divertissement à domicile épuise les réserves de puces. On s’arrache les inventaires de véhicules neufs. La logistique mondiale se fragilise. Des fabricants de puces débordés. Les vagues d’infection se succèdent. Des éclosions dans les usines. La Russie envahit l’Ukraine, les sanctions pleuvent et le cours du pétrole s’enflamme. L’urgence climatique se fait sentir. Le prix de l’essence atteint des niveaux jamais observés, ceux des véhicules d’occasion aussi. Il manque de tout, même d’employés. Ouf!
Partout dans le monde, cette tempête parfaite crée un engouement sans précédent pour les véhicules électriques, dans un marché où la demande écrase l’offre. Les dépôts fusent, les listes d’attente s’allongent, les lotissements des concessionnaires sont d’un vide poussiéreux. Examinons les périls auxquels font face les électromobilistes en devenir dans un marché inflationniste où l’impulsivité peut conduire à de coûteuses décisions.
Les questions préalables
Les véhicules électriques vous titillent un budget par leurs généreuses subventions gouvernementales, la promesse de coûts d’entretien réduits et, surtout, une rupture définitive avec la pompe à essence, où le litre se détaille à plus de deux dollars au moment d’écrire ces lignes. Mais, au-delà de toute considération environnementale, les véhicules électriques (ou VÉ) – vendus assez cher – sont-ils une bonne affaire? Avant d’aborder directement l’addition, il convient d’abord de mettre la table, car comme pour vivre en couple, adopter l’électromobilité s’accompagne de considérations qui diffèrent de nos vieilles habitudes.
Où stationnez-vous?
Peu importe où l’on se trouve au Canada, le froid fait partie de l’équation. Avec un véhicule thermique, il suffit généralement de garder le réservoir mi-plein en hiver pour s’éviter des pépins, qu’il soit stationné dans une congère à Montréal ou dans une entrée privée à Calgary. Certains ajoutent un chauffe-bloc comme assurance-démarrage, mais l’automobile thermique a déjà vu neiger.
Le VÉ lui doit veiller à la survie de sa batterie par grands froids, composante dont la chimie comporte sa part de liquides essentiels à sa livraison d’énergie. Laissé à lui-même par une nuit froide, un VÉ ira utiliser les ressources de sa batterie pour la garder au chaud. Les manufacturiers recommandent d’ailleurs tous de laisser le véhicule branché la nuit par temps froid, et de ne jamais laisser la charge descendre en deçà de 20 %. Et encore, cette règle n’est pas une garantie. Mon propre hybride rechargeable (PHEV) refuse de démarrer sous les -26°C, même branché, et dès -24°C, certains fabricants recommandent de laisser le véhicule dans un endroit chauffé s’il doit rester inactif plusieurs heures.
Les verts vont me balancer une volée de bois de même couleur, mais selon les expériences glanées des dernières années, si vous ne disposez pas d’un espace de stationnement privé avec accès à une borne de recharge, vaut mieux oublier l’électromobilité!
Apart, condo ou bungalow?
Les bornes publiques, c’est bien, mais vous conviendrez que d’y laisser son VÉ toutes les nuits d’hiver, ce n’est pas pratique. Malgré les subventions disponibles, il ne faut pas tenir l’installation d’une borne de recharge pour acquise, encore moins la remettre en question. Un ami l’a appris à ses dépens en se procurant un Volvo XC40 Recharge tout neuf. Rendu au chalet pour un week-end de ski, le Volvo a été branché à l’extérieur avec le chargeur portable 120V du véhicule et, surprise, aucune recharge n’apparaît le lendemain. Cette histoire revient souvent chez les néo-électromobilistes : la recharge 120V ne fonctionne tout simplement pas par temps froid, le peu d’énergie servant tout juste à chauffer la batterie. L’ami en question a dû vider son espace de rangement chauffé et y caser le XC40.
La borne domestique 240V de Niveau 2 est essentielle à l’électromobilité, et encore une fois les citadins sont pénalisés. Le pied-à-terre de notre ami en Volvo a beau être un condominium de prestige tout neuf du centre-ville, rien n’y a été prévu pour alimenter toutes les cases de stationnement privées. En 2018, le code du bâtiment a été amendé au Québec et en Ontario à cet effet, mais les coûts des travaux électriques dans les bâtiments multilogis sont si élevés qu’il peut s’agir d’un go, no-go pour votre projet d’électromobilité – vérifiez avant d’acheter, tant pour l’aspect technique que pour l’avis du syndicat de copropriété. La résidence unifamiliale avec stationnement privé (et, idéalement, garage chauffé) reste le lieu d’insertion privilégié d’une borne domestique, mais faites tout de même vérifier la capacité de votre entrée électrique avant de prendre votre décision. Ces coûts d’installation peuvent varier de quelques centaines de dollars à plusieurs milliers, de quoi rendre caduc tout espoir d’économie au budget transport.
Type ville ou type campagne?
L’automobile électrique se prête à merveille à l’usage auto-boulot-dodo du navetteur, avec sa capacité à récupérer l’énergie cinétique des freinages aux nombreux panneaux d’arrêt, feux de circulation et bouchons. Tout le contraire du véhicule thermique, qui doit redoubler d’efforts pour relancer sa masse à chaque départ, sans le bénéfice du couple maxi instantané des électriques. Avec le préconditionnement de cabine, les VÉ modernes s’accommodent assez bien de ce régime en plein hiver, nos propres expériences chiffrant la perte d’autonomie à seulement 25 %.
Pour les grands rouleurs, sur autoroute comme sur route nationale, les avantages s’inversent. Les véhicules thermiques sont dans leur plage optimale d’opération, usent peu du carburant avec un moteur qui tourne au ralenti, alors que les électriques doivent fendre l’air sans bénéficier des rapports d’une transmission qu’ils n’ont pas pour réduire l’effort mécanique associé au maintien d’une vitesse à la fois constante et soutenue. Ils doivent donc fournir un effort maximal et consommer plus d’énergie, sans opportunité pour la récupérer.
Les électromobilistes aux longs cours doivent donc conjuguer avec des haltes-recharges bien planifiées aux bornes à haute vitesse, augmentant leur temps de parcours, surtout en hiver où la perte d’autonomie réelle se chiffre dans les 50 %. Et rien ne garantit que la providentielle borne soit libre au moment voulu, sans compter que la recharge rapide a un effet « malbouffe » sur la batterie et taxe davantage son espérance de vie. Les plus malins auront compris que les PHEV combinent les avantages des deux modes, assurant efficacité électrique en ville et la liberté d’un réservoir d’essence sur la route.
Les postes budgétaires
Les subventions
Les véhicules électriques sont chers, mais vu qu’ils réduisent collectivement notre dépendance aux énergies fossiles, tous les paliers de gouvernements offrent d’intéressantes subventions à l’achat. Notez que nos dirigeants ne sont pas bêtes : les subventions s’appliquent au plein prix payé, incluant les taxes de vente. Ottawa offre 5 000 $ aux Canadiens à l’achat d’un VÉ éligible, tandis que du côté des provinces le Québec se fait champion de l’incitatif avec son rabais de 7 000 $. Mais vous aurez compris qu’une bonne part de ces subventions ne fait qu’effacer les taxes, leur effet sur le prix de détail demeurant modeste.
Et comme pour toute subvention, en général le consommateur doit financer le coût d’achat complet, puis compléter sa demande de remboursement aux paliers de gouvernement applicables. Les chèques reçus pourront alors être appliqués au capital du prêt. À noter que certaines municipalités contribuent aussi à l’électrification des transports par des subventions à l’achat de véhicules ou encore pour l’installation d’une borne de recharge à domicile, comme le font plusieurs provinces d’ailleurs – c’est à considérer dans votre budget.
La recharge
Les VÉ carburent, évidemment, à l’électricité. Elle n’est pas gratuite, certes, mais son coût est minime face à l’essence, surtout en ces temps-ci, et surtout au Québec où l’hydroélectricité est toujours offerte à prix imbattable. Dernièrement, faire le plein de notre minifourgonnette a coûté 150 $, une somme qui livrera environ 400 km d’autonomie en ville. La même semaine, le plein à domicile de la Polestar 2 n’a coûté que 6,50 $, et ce, pour une même autonomie – l’écart frappe l’imaginaire. Quant à la puissante BMW i40 M50 de 536 chevaux, elle nous a coûté 0,02 $ du km parcouru, contre 0,23 $ pour la M240i à essence aux performances comparables. Le portefeuille jubile!
La recharge publique change quelque peu cette équation. Les structures de prix sont complexes et varient énormément d’un fournisseur à l’autre, et d’une province à l’autre. Les prix s’adaptent même au partenaire foncier où la borne est installée. Par exemple avec Le Circuit Électrique d’Hydro-Québec, qu’on retrouve au Québec et en Ontario, les bornes rapides de 100 kW ou plus sont tarifées à 35,79 $/h. Pour les autres bornes rapides, le tarif horaire varie selon la puissance livrée par la borne (qui varie à son tour en fonction des capacités du VÉ), et le taux de recharge. Ces bornes sont conçues pour des usages fréquents et courts, et le taux d’énergie diminue au-delà de 80 % de charge pour protéger la batterie – le taux horaire grimpe alors de façon punitive pour décourager l’encombrement inutile des bornes.
Pour un usage plus local, les bornes de Niveau 2 sont généralement tarifées à 1 $/h, mais il faut trimbaler tout un lot de cartes de membre ou d’applications pour appareil mobile de façon à y accéder. Autant de comptes où l’on doit placer des dollars ou lier sa carte de crédit afin de les débiter aux bornes. Et comme pour un guichet automatique, utiliser la borne de l’un avec la carte de l’autre, quand ça fonctionne, ajoute des frais d’itinérance; pour le Circuit Électrique, ces frais sont de 1,25 $ par transaction pour une borne rapide.
Encore une fois, le marché local dicte le budget de recharge. Un cas extrême : en Californie, charger à bloc une Tesla Model S coûte aussi cher que de remplir un réservoir d’essence… L’économie est donc nulle. À l’opposé, au Québec, alimenter annuellement un VÉ seulement par la recharge à domicile ne prend pas plus d’électricité qu’un simple chauffe-eau. Et pour en finir avec la géographie, en lieu de taxes sur l’essence quelques états et provinces, dont la Saskatchewan, imposent aussi une taxe annuelle aux propriétaires de VÉ afin de s’assurer de leur contribution à l’entretien des routes!
L’entretien
Sans entretien, les VÉ? Pas si vite, l’ami! Une voiture électrique reste … une voiture. Certes, pas de changement d’huile annuel, de courroie de distribution à changer ou de catalyseur à se faire dérober. Mais un VÉ possède suspensions, systèmes de refroidissement et freins. Pour l’électromobiliste urbain, ces derniers ont la fâcheuse habitude de rouiller en place, le freinage régénératif, via le moteur électrique, assurant l’essentiel des opérations. Ainsi, après quatre ans et 24 000 km, votre auteur a dû « investir » 1 300 $ dans un remplacement complet des freins de sa PHEV. Une connaissance a subi le même « investissement » sur sa Chevrolet Bolt âgée de deux ans seulement.
Les véhicules électrifiés demandent donc des entretiens accrus aux freins, sur une base annuelle, afin d’éviter de coûteux et répétitifs remplacements de composantes de freinage – et ces derniers sont beaucoup plus coûteux que le classique changement d’huile. Les manufacturiers semblent ne pas vouloir voir ce problème « génétique » des VÉ, avec des intervalles de service souvent très espacés (2 ans ou 32 000 km pour la Polestar 2). Habitués à des essais marathons de 64 000 km conclus en moins de deux ans, les collègues du magazine américain Car and Driver ont remarqué que l’entretien de leur Tesla Model 3 était à la hauteur de ceux d’un véhicule thermique, les nombreux services de freins et l’usure rapide des pneus ayant eu raison des économies anticipées.
La batterie
En 2020, l’âge moyen pour un véhicule particulier canadien était de 9,71 ans et cette donnée s’accroît progressivement avec l’augmentation des prix au détail. Pour un véhicule thermique, la rouille est généralement le facteur décisif pour la mise au rancart, souvent en conjugaison avec un bris mécanique majeur, l’ensemble retirant toute logique budgétaire au prolongement de la vie du véhicule. Il est intéressant de considérer cette statistique de dix ans face aux huit ans de garantie généralement adoptés par l’industrie pour les batteries des VÉ. La petite batterie de 8,8 kWh de ma PHEV coûte 12 000 $ à remplacer chez le concessionnaire, et après cinq ans, son usure est palpable. Les propriétaires des premières Nissan Leaf réalisent qu’aujourd’hui, avec des autonomies rapportées de 75 km, leurs batteries sont bien fatiguées. Selon une étude du National Post conduite auprès de concessionnaires Nissan, le remplacement coûterait entre 8 000 $ et 30 000 $, plus main-d’œuvre. Faisant face à une facture de 22 000 $ US pour remplacer la batterie de sa Tesla Model S 2013, le finlandais Tuomas Katainen a préféré faire sauter sa voiture au TNT dans une vidéo rapidement devenue virale (à ne pas répéter à la maison!) Vous aurez compris que les VÉ arrivent plus rapidement à la casse que les véhicules thermiques, avec des conséquences économiques (et écologiques) assez désastreuses. Certes, la technologie s’améliore de jour en jour, mais le coût des batteries lui est reparti à la hausse, ce qui ajoute une part de risque quand on s’engage à vivre à long terme avec un VÉ.
Les pneumatiques
Les premiers acheteurs de Tesla Model S ont rapidement pris conscience qu’un véhicule électrique use ses pneus beaucoup plus rapidement. La raison? D’abord le poids considérable des VÉ face à leurs semblables (un Ford F-150 électrique accuse 1 600 livres de plus qu’un autre à essence). Ensuite, un VÉ applique un couple maximal aux roues motrices dès le départ, augmentant l’effort sur les pneumatiques. L’importance de rotations fréquentes est accrue sur un VÉ, à condition de pouvoir le faire – la Polestar 2 possède des jantes arrière plus larges que celles boulonnées à l’avant, même pour les modèles à traction! L’industrie s’accorde sur une durée de vie inférieure de 20 % pour les pneus sur un VÉ, et de plus il faut s’assurer de choisir des remplacements aux indices de charge appropriés, ce qui limite les choix, particulièrement pour les pneus d’hiver. Les pneus d’origine comportent parfois de mauvaises surprises, comme les Michelin de certaines Tesla qui possèdent des bandes de roulement plus minces que ceux vendus en seconde monte…
L’heure des choix : rentable ou déficitaire, l’électromobilité?
Prépandémie, le Canadien moyen parcourait annuellement 15 200 km. En faisant abstraction des assurances et des coûts d’entretien, très variables, nous avons fait quelques comparaisons sur la base des cotes Énerguide et des prix de détail des véhicules et du carburant en ce début d’été 2022 au Québec, question de valider le nombre d’années requises pour rentabiliser l’option électrique.
Pour le minimaliste, passer d’une Rio à une Bolt placera le budget dans le rouge pour un peu plus de six ans. Les Canadiens apprécient toujours les compactes, mais pour rouler en Leaf SV, il faudra attendre trois ans et quatre mois pour rentabiliser ce choix face à une Forte5 EX. Et dans le segment en feu des VUS sous-compacts, passer d’un Kona essence à un modèle électrique comparable demande cinq ans et demi pour faire ses comptes. Quand la Model S de Tesla a débarqué ici avec sa grande autonomie, plusieurs écologistes convaincus se sont mis à acheter des bagnoles de plus de 100 000 $, une somme qu’ils n’auraient jamais consacrée à une voiture thermique. Eh bien, leurs convictions devront durer 99 ans en lieu de l’achat d’une bonne vieille Prius!
Ce cas extrême reflète un marché où l’offre en VÉ reste modeste dans les gammes de véhicules populaires, forçant souvent le consommateur à comparer des VÉ de luxe avec des options thermiques valables chez les marques populaires. Une Legacy GT pourra par exemple satisfaire l’acheteur qui lorgne une Polestar 2 bimoteur, une entrée comptable qui mettra cinq ans et demi à s’effacer. Comme toujours, les mieux nantis sont ceux qui peuvent le plus facilement tirer profit de l’électromobilité. La fabuleuse, rutilante et rapide BMW i4 M50 qui accompagne cet article offre les performances d’un M4 au prix d’une M340i… L’équation devient alors toute simple. Et en ces jours de carburant à 2 $ le litre, un amateur de Jeep Wrangler va immédiatement rentabiliser un 4xe PHEV, vendu moins cher que la version essence grâce à la magie des subventions, pour autant qu’il le branche souvent – nous avons ajouté cinq litres d’essence au réservoir d’un Wrangler Unlimited Rubicon 4xe après avoir parcouru près de 300 km!
Passer la bague … ou pas
Évidemment chaque situation demande une analyse qui nous est propre. Homme de chiffres de son métier et grand rouleur avec près de 200 km au quotidien, Sylvain Lirette mettait plus de 50 $ de diesel à chaque semaine dans sa Audi A3. Maintenant, il recharge gratuitement sa nouvelle Ford Mach-E au boulot, son employeur mettant des bornes de niveau 2 à la disposition des employés.
Quant à l’auteur de ces lignes, après cinq ans avec un PHEV qui aura livré une moyenne de 2,1 L/100 km sur un peu plus de 31 000 km, je suis prêt à passer … à l’essence. Avec le faible usage de mon véhicule personnel, il m’est impossible de passer de façon rentable à l’électrique, qui me coûterait finalement 25 000 $ de plus qu’une option thermique comparable. Ne vous méprenez pas, rouler électrique est un plaisir difficile à laisser derrière soi. Le couple instantané, la propulsion silencieuse, l’absence d’odeurs de combustion et l’indépendance physique comme psychologique avec la pompe à essence sont autant de facteurs qui militent en faveur de l’électromobilité. Mais la rentabilité de cette rupture avec les carburants fossiles reste à démontrer, tant pour le budget que l’environnement. Polestar, seul manufacturier de VÉ à révéler l’empreinte totale de l’un de ses véhicules, la Polestar 2, estime qu’il faudra qu’un usager fasse 110 000 km à son bord avant que la séduisante électrique sinéo-suédoise ne soit aussi « verte » que son cousin de plateforme, le Volvo XC 40 à essence…