Technologie automobile

Movin’On 2018 : les transports de demain

« La mobilité de demain sera partagée, électrifiée et autonome » – Timothy Papandreou, City Innovate

Pour une deuxième année consécutive, le fabuleux site de L’Arsenal a accueilli le sommet mondial Movin’On de Michelin aux abords du canal Lachine à Montréal. Pour un vieux routier des congrès du monde des transports, arriver à Movin’On est un choc. Oubliez les cravates, la foule est jeune, branchée. Un chapiteau, des tentes climatisées, des conteneurs aménagés en loges corporatives remplacent les traditionnels centres de congrès. Des badges électroniques assurent les échanges de coordonnées professionnelles. On ne fait pas du réseautage, on fait des « brain dates ». Bienvenue au 21e siècle.

Movin’On n’est pas un congrès proprement dit, mais une plateforme de discussion dans l’esprit des « TED Talks » où des sommités du secteur de la mobilité viennent discuter des transports de demain. On vient ici pour écouter, échanger et repartir la tête pleine d’idées sur ce que va devenir la mobilité et influencer son développement.

Et tout semble indiquer que la mobilité de demain sera …

Partagée…

Qu’on se le dise, être propriétaire de sa voiture, c’est tellement siècle passé. C’est le message que promouvaient plusieurs conférenciers, comme Mme Kate White, politicienne de l’État de la Californie, qui a reçu une ovation de la foule après avoir annoncé que « Je n’ai jamais possédé d’automobile ». Cette réaction en dit long sur l’attitude de la génération montante face au modèle actuel de mise en marché de l’automobile. On jette le blâme pour la congestion routière sur l’étalement urbain et la multiplication des véhicules par maisonnée. On pousse la note un peu trop loin en se moquant de l’attachement des ménages au véhicule familial, et en remettant en question le mode de vie des banlieusards, dont plusieurs générations ont pourtant rejeté de plein gré le mode de vie urbain en milieu densifié.

Les conférenciers peuvent sembler trop sûrs d’eux, mais les récentes statistiques viennent appuyer leurs dires. Les milléniaux délaissent les transports collectifs et les taxis réglementés pour les véhicules de l’économie de partage que sont les Uber et Lyft de ce monde. De plus en plus d’entre eux n’ont pas de permis de conduire. On partage les autos, on partage les vélos, on partage des trottinettes électriques et bientôt des quadricoptères électriques autonomes. La notion même du véhicule autonome ou VA l’éloigne de la possession privée, puisque ses promoteurs le voient justement comme un véhicule en perpétuel déplacement, évitant les 90 % d’usage « stationnement » des véhicules privés actuels.

Électrifiée…

L’arrivée au site donne le ton alors que les navettes de Movin’On sont des autobus électriques du manufacturier québécois Lion. Près du portail d’entrée se trouvait l’événement Ride & Drive de véhicules électrifiés, présenté en partenariat avec Hydro-Québec et le Circuit Électrique. Les délégués pouvaient ainsi goûter à la motorisation silencieuse au volant de produits BMW, Honda, Nissan, Tesla et même Karma. Nous avons d’ailleurs pris le volant de la Karma Revero, feu Fisker Karma. Cette électrique à autonomie prolongée par un moteur à combustion est de retour sur le marché, l’entreprise déchue de Fisker ayant été reprise par un groupe industriel chinois. La Revero bénéficie d’un intérieur mis à jour et d’une batterie plus moderne, mais autrement il s’agit de la même voiture qu’avant, aux lignes voluptueuses, à l’encombrement certain et à l’habitabilité lilliputienne.

Dès le premier jour de Movin’On, nous avons pu assister au dévoilement mondial du eLionM, un autobus urbain compact entièrement électrique, conçut et fabriqué au Québec. Lion est un peu le Tesla québécois; son bus scolaire reprenait l’architecture d’un autobus scolaire traditionnel, un peut comme le premier Roadster du célèbre manufacturier californien, basé sur un coupé Lotus. Le eLionM est quant à lui le « Model S » de Lion, son premier produit développé à partir d’une page blanche. Le président de Lion, M. Marc Bédard, a précisé que son eLionM sera vendu au même prix qu’un bus diesel de format semblable et que son autonomie sera de 120 km ou 240 km selon le nombre de batteries choisi par l’acheteur.

Movin’On démontrait les possibilités inattendues de la motorisation électrique, en offrant des escapades en hors-bord électriques sur le Canal Lachine ou encore de petites virées autour du grand chapiteau en trottinette motorisée. Les conférenciers n’étaient pas en reste. Le groupe Virgin nous a présenté sa version du concept Hyperloop imaginé par Elon Musk. Reprenant le principe des trains à lévitation magnétique, mais en les insérant dans des tubes sous vide, ces trains électriques peuvent atteindre les 1000 km/h en consommant très peu d’électricité. Mme Anita Sengupta, de Virgin Hyperloop One, a présenté son prototype d’essai pleine grandeur qui s’étire sur 500 mètres dans le désert du Nevada. Déjà, le module expérimental peut accélérer jusqu’à 367 km/h puis freiner avant le bout du tube. L’architecte naval français Marc Van Peteghem a fait l’éloge de son concept de navire marchand à voiles solides intelligentes et propulsion secondaire électrique à alimentation solaire et éolienne. Un concept très « terre à mer » puisqu’un premier navire marchand électrique est sur le point d’être lancé en usage commercial et, éventuellement, il naviguera de façon autonome.

Questionné au sujet du lien fréquent entre « électrification » et « autonome » en entrevue, Peter Tropschuh, ingénieur et vice-président au développement durable chez Audi, nous a précisé que la motorisation électrique simplifie l’intégration du groupe propulseur dans un VA, même si ce n’est pas essentiel. C’est pourquoi les milliards investis dans la mobilité autonome font cheminer l’électrification des transports, car, en plus d’être durable, la propulsion électrique se contrôle plus facilement sous intelligence artificielle qu’un ensemble moteur à combustion et transmission. Suite à notre entrevue, M. Tropschuh a participé à un panel de discussion sur l’électrification des transports en compagnie du président de Nissan pour l’Amérique du Nord, Denis Le Vot, et M. Karim Zaghib d’Hydro-Québec. Si tous s’entendent qu’une meilleure infrastructure de recharge rapide sera garante d’une électrification graduelle du parc automobile, chez Audi on avoue que le client de véhicules dits de prestige appréciera toujours la puissance, le couple et la sonorité des motorisations thermiques.

Autonome…

Le modérateur Roger Lanctot, directeur chez Strategy Analytics, ne modérait pas ses propos quant à sa foi envers le VA : « Le modèle d’affaires des manufacturiers automobiles est de tuer des gens. ». Et vlan. Les experts en sécurité routière décrient en effet sur toutes les tribunes le nombre ahurissant de morts sur les routes américaines. À un peu plus de 40 000 en 2017, c’est comme si une ville de la taille de Boucherville était décimée annuellement. C’est pourquoi ils ont une foi inébranlable envers le VA. Éliminer l’humain de la conduite, c’est éliminer la bêtise et l’erreur humaine de l’équation, améliorant une fois pour toutes le bilan routier, selon ces experts.

L’enthousiasme, c’est bien, mais la réalité fait parfois mal. Les conférenciers n’ont pas ignoré l’éléphant dans le magasin de porcelaine. On cite la piétonne tuée par un VA Uber en Arizona, ou encore les nombreux incidents associés au système « AutoPilot » de Tesla. L’incident d’Uber était « une cascade d’échecs », un accident en devenir selon plusieurs, en raison de la philosophie rebelle de l’entreprise. On sent aussi que l’industrie du VA blâme toujours l’humain pour les accidents associés au système autonome de Niveau 2 de Tesla, les conducteurs accordant trop … d’autonomie à un système qui demande pourtant leur attention à tout moment. Lors d’un panel de discussion sur le topo du VA, tant M. RJ Scaringe de Rivian que Frantz Saintellemy, de la québécoise Leddartech, insistent sur le besoin de relâcher suffisamment la réglementation pour laisser leur industrie expérimenter sur la voie publique. Selon eux, c’est dans un environnement réel que le VA va « apprendre » la cohabitation avec les autres usagers, et le Niveau 2 est une « perte de temps ».

Rivian va lancer son bolide électrique sur le marché avec des capacités de Niveau 3 dès 2020, même si la réglementation en place ne permet pas de les activer. Pour Leddartech, il y a deux grandes problématiques pour leur industrie au Québec : l’impossibilité d’accumuler de l’expérience sur la voie publique et l’absence d’un plan de match clair, comme celui de la Ville de Toronto, pour l’intégration des VA. M. Saintellemy verrait d’un bon œil qu’une municipalité comme Montréal prenne les devants pour encourager la province à suivre. Une fois cet encadrement obtenu, le défi pour l’industrie du VA sera d’entraîner ses systèmes à comprendre les réglementations variées qui prévalent sur différents territoires, par exemple le virage à droite interdit au feu rouge sur l’île de Montréal.

Nous nous sommes entretenus avec le Ministre fédéral des transports, l’honorable Marc Garneau, sur l’équilibre délicat entre la sécurité du public et cette soif de développer de l’industrie canadienne du VA. « C’est en encadrant l’industrie dans le cadre de projets pilotes bien délimités que l’on pourra permettre à l’industrie de s’épanouir tout en assurant la sécurité des Canadiens ». Sage approche. Les gestionnaires des réseaux routiers devront également faire quelques accommodements pour accueillir les VA sur leurs chaussées. Nous avons discuté de cet aspect avec M. Andreas Mai, v-p Amérique du nord de Keolis, consortium français qui est, entre autres, opérateur privé de réseaux de transport collectif. Faisant figure de pionnier du VA, Keolis a lancé sa navette autonome sur un circuit très fréquenté du fameux « strip » de Las Vegas. Keolis a dû travailler avec les autorités municipales afin d’identifier les problèmes auxquels son VA fera face; ensemble, ils ont développé des solutions, par exemple la standardisation des hauteurs des trottoirs au niveau des arrêts de la navette. Cette collaboration entre les gestionnaires des réseaux routiers et l’industrie du VA sera vitale au succès de la mobilité autonome. Keolis voit également dans le VA une solution à la sous-utilisation de nos routes par la densification du nombre de passagers par véhicule en suivant le modèle de la mobilité autonome et partagée. Pour cet exploitant de réseaux de transport, le VA est un complément au transport collectif et non pas un concurrent; une cinquantaine de navettes autonomes Keolis roulent dans le monde en ce moment.

Sans oublier, durable!

L’économie circulaire était de toutes les tribunes à Movin’On. Bref, l’économie linéaire en termes de produit démarre avec les matières premières et se termine à l’enfouissement. Dans la circulaire, le cycle reprend comme celui de l’eau, alors qu’on applique les « trois R », soit récupérer, recycler et réutiliser. Le commanditaire principal de Movin’On, Michelin, n’est pas en reste sur ce principe et cherche à rendre plus « circulaire » ses produits bien ronds, les pneus, en y augmentant le taux de matières récupérées et en augmentant leur vie utile.

Mais c’est notre conversation avec M. Tropschuh de chez Audi qui nous a révélé à quel point l’industrie automobile était plus à la page, environnementalement parlant, qu’on pourrait le croire. Des usines d’Audi fonctionnent selon le principe carboneutre sous leurs toits blancs, et une foule de mesures y sont mises en places pour réduire l’empreinte écologique de la marque. Prenons les emballages de pièces ou sous-assemblages venant de fournisseurs ou ateliers, tous réutilisables; un département entier est dédié à leur conception. Ces mêmes fournisseurs sont soumis à un barème strict pour assurer un degré élevé de rigueur environnementale. Les voitures de préproduction et les prototypes d’Audi sont soigneusement désassemblés à la fin de leur vie utile et les pièces récupérées sont revendues après inspection à titre de pièces usagées certifiées d’usine. Et cet atelier emploie des travailleurs avec handicap physique ou mental de façon à leur faciliter une vie active en société. Audi lancera son premier modèle de production 100 % électrique à la fin de l’été 2018.

Mais au travers de ces rêves et visions de la mobilité de demain, c’est la présentation de Mme Monica Araya du petit état du Costa-Rica qui a fait chaud au cœur, et pas seulement pour ses belles images. Saviez-vous que ce pays vit d’électricité produite de sources renouvelables pour près de 300 jours par année, et qu’il s’active à « sortir » le moteur à combustion interne de ses terres?

Comme quoi certains idéaux de mobilité ne cachent pas toujours des intérêts commerciaux…