Insolite

Longue vie à la Coccinelle (1939-2019)

Coccinelle. Beetle. Käfer. Bug. Vocho. Notre bien aimée compagne de mille et un voyages a porté bien des surnoms au cours de sa longue vie, variant selon les contrées traversées. Bien peu de gens savent qu’elle n’a jamais vraiment porté le nom de « Beetle » pendant sa glorieuse époque de motorisation arrière. Cette icône sur roues a survécu aux modèles issus de sa génétique, soit les Karmann-Ghia, Kombi / Type 2 et Type 3 (Squareback, 411, 412, …). Elle laisse derrière elle une descendance solide, moderne, audacieuse, élaborée sur l’empire industriel qu’elle a érigé un succès à la fois.

Plus que toute autre voiture ne le sera jamais, la Coccinelle est étroitement liée à l’histoire avec un grand H du 20e siècle. Elle est née pendant l’une des périodes les plus sombres de l’humanité, a fourni du travail à des milliers de gens, parcourue les routes du monde et est devenue une étoile au cinéma comme sur les circuits. Comme aucune autre machine avant elle, pour plusieurs, elle est devenue une amie.

De bien sombres débuts

Le nom Volkswagen signifie, littéralement, « voiture du peuple ». Ce peuple, c’est le peuple allemand, celui de la sinistre époque du Troisième Reich. Dans sa folie mégalomane, Adolf Hitler a voulu mettre son peuple sur roues. Il a donc fait construire le réseau des autobahns, les fameuses autoroutes allemandes, puis son ministère des transports a lancé un appel d’offres pour la conception d’une voiture du peuple selon un devis très strict : la voiture devrait pouvoir transporter quatre personnes, filer à 100 km/h et pouvoir être construite à très faible coût au rythme fou d’un million d’unités par an. À cette époque d’entre les deux guerres, l’industrie automobile allemande est florissante et les puissantes Mercedes et Auto-Union dominent les compétitions. Ces grandes marques ne faisaient pas toutefois dans la tôle modeste, et Hitler exigeait un prix de vente de 1 000 RM (Reichsmark).

Et c’est le Dr Ing e.h. Ferdinand Porsche qui déposa une proposition le 22 juin 1934. L’atelier Porsche reprit des concepts élaborés pour les firmes Zündapp et NSU et les affûta pour répondre au devis. Ainsi, Porsche exigea de son équipe l’emploi de matériaux légers comme l’aluminium et le magnésium pour le moteur, qu’il voulait léger, compact et simple, d’où le choix du refroidissement à l’air. Après avoir expérimenté avec diverses configurations et des moteurs à deux temps, le fameux moteur à plat « boxer » à quatre temps était né. Une puissance de 26 chevaux était l’objectif, d’où des limites très strictes pour le poids du châssis et de la carrosserie à concevoir. De la recherche de légèreté, de rigidité et d’optimisation des coûts sont nés, après plusieurs prototypes, le célèbre châssis plat, la suspension avant à tube de torsion et le pont-transmission arrière. La carrosserie aérodynamique sera boulonnée à cette plateforme. Une légende est née.

Les prototypes d’évaluation se sont finalement lancés sur les routes allemandes en octobre 1936, chaque véhicule parcourant près de 30 000 km en seulement deux mois, le tout ponctué de démontages, d’analyses et d’installation de pièces revues. Les pilotes d’essai, recrutés chez les SS, ont vécu quelques anecdotes, dont une collision à haute vitesse à angle droit qui a renversé un camion; le pilote était indemne, la voiture était donc sûre. Le prototype inusité du Dr Porsche se révélait aussi plus stable et confortable que les petites voitures plus conventionnelles produites par Adler et DKW.

Après d’ultimes raffinements, la Volkswagen est prête pour la production en 1939, dans l’immense usine de Wolfsburg construite expressément pour la voiture du peuple, devenue KdF Wagen, qui se traduit par « la voiture de la force par la joie », dans la propagande nazie. Plus qu’une usine, c’est une ville complète qui fut créée de toutes pièces, un projet de plus de 200 millions de RM. La production est lancée. Le prix de la voiture grimpant, un stratège d’épargne par carnet de timbres est mis de l’avant par le Reich, mais aucun consommateur ne prendra jamais livraison d’une KdF Wagen…

La Coccinelle s’en va t’en guerre

La Seconde Guerre mondiale est déclenchée. Les premières KdF Wagen produites deviennent des véhicules militaires, puis le Dr Porsche et son équipe conçoivent des véhicules plus robustes et purement militaires sur la base de la Volkswagen, fort convoités des collectionneurs aujourd’hui : le Kübelwagen, la « Jeep » des allemands, et le « Schwimmwagen », son cousin amphibie. L’usine de Wolfsburg assemble maintenant ces véhicules de guerre et elle constitue une cible de choix pour les troupes alliées. Sur ses chaînes de montage, on retrouve des soldats faits prisonniers et condamnés à bosser pour la machine de guerre nazie. Certains prenaient un malin plaisir à bâcler les soudures, en particulier sur les amphibies, dans l’espoir qu’ils coulent au premier cours d’eau franchi.

L’usine est sévèrement touchée par les bombardements, détruite à 65 %, et quand enfin l’occupant prend possession des lieux, considérés comme bien nazi, il découvre des dégâts, certes, mais aussi un important stock de pièces, de machinerie et de moules à tôles. La population civile est aussi mal en point, affamée, appauvrie et en manque de travail. Pour ajouter une couche, les 270 000 épargnants du carnet de timbres ont perdu leur investissement. Le gouvernement militaire allié assure alors la transition entre l’ancienne dictature et la future République fédérale d’Allemagne; il redonne aux Allemands un boulot, et la fierté bien humaine de gagner son pain. Et Wolfsburg trouve son sauveur : Nordhoff.

Renaître des cendres du mal

En mai 1945, les alliés remettent les clés de Wolfsburg à la nouvelle république. La production ayant tranquillement repris sous le gouvernement de transition, les Anglais, en charge de la zone sous la gouverne du Major Hirst, qui croyait au concept de la Volkswagen, installent Heinrich Nordhoff à la tête de l’usine en janvier 1949. Déjà, 50 000 coccinelles civiles sont sorties de l’usine. Les anciens épargnants ayant conservé leurs carnets se voient accorder un rabais de 600 Deutsche Mark, la nouvelle monnaie. Un an plus tard, et un an avant sa mort, Porsche lui-même assiste aux premiers tours de roue de la cent millième Volkswagen. Le 6 août 1955 est un jour de célébration à Wolfsburg. Devant 1 200 journalistes venus du monde entier, la millionième coccinelle sort de l’usine. La petite voiture à la bouille sympathique est passée de symbole nazi à celui d’espoir et de prospérité pour la population.

Nordhoff, surnommé le roi de Wolfsburg, a su remettre sur pied une usine qui était dans le chaos total après la guerre. Cet ingénieur de formation reconnaissait l’excellence du concept de base du véhicule et mit à profit sa patience, sa passion et son éthique du travail pour le parfaire. Il redonna aux citoyens de Wolfsburg leur fierté et rendit encore plus indissociables la ville et l’usine. Il s’attaque aux petites failles de la voiture et la perfectionne sans cesse pendant son règne. La chaîne de montage passa aussi à la méthode Nordhoff, le temps d’assemblage d’une Coccinelle passant de 400 heures en 1948 à tout juste 100 en 1955. Surtout, il a toujours cru au potentiel des marchés d’exportation. Quand il débarque aux États-Unis en 1949 avec deux voitures de démonstration, les douaniers américains rient des gens d’affaires allemands. En 1971, le cap des 5 000 000 d’unités vendues est franchi au pays de l’Oncle Sam.

Naissance d’une légende

Il s’en suit une évolution constante du produit, des changements étant sans cesse apportés au concept d’origine, comme pour le polir, le raffiner. Les améliorations mécaniques les plus marquantes apparaissent en 1967 – le système électrique à 12 volts – et en 1968, où une véritable suspension indépendante beaucoup plus sûre et prévisible vient remplacer l’essieu oscillant conçu par Porsche dans les années 30. En 1971, Volkswagen lance une variante parallèle de la coccinelle, surnommée « Super Beetle » même si ça n’a jamais été officiellement son nom. En remplaçant les barres de torsion avant par des jambes de force McPherson, composantes très en vogue aujourd’hui, les ingénieurs dégagent un large coffre avant et, surtout, rendent la voiture compatible avec la climatisation que demande le marché américain. La dernière véritable évolution sera l’arrivée de l’injection d’essence en 1975, en remplacement du carburateur, question que la Coccinelle respecte les normes antipollution.

Icône pop

La Coccinelle fait un tabac dans l’imaginaire américain. Avec le Minibus qui en est dérivé, elle devient une icône de la génération « Peace and Love ». Aux familles de la classe moyenne, elle montre qu’une petite voiture n’est ni embarrassante, ni pénible à conduire et coûte peu à faire rouler. La crise du pétrole viendra aussi gonfler ses ventes, même si elle était vieillissante à ce moment.

La culture automobile californienne embrasse la « Bug ». Des amateurs de hot-rods nait le style « Cal-Look », avec suspensions abaissées et moteurs gonflés. Les amateurs de tout-terrain découvrent les vertus de la plate-forme et la Coccinelle devient une redoutable concurrente dans les courses d’endurance des grands déserts, comme le Baja 1000. Le style « Baja Bug » dérive de ces compétitions, avec des voitures aux suspensions soulevées et des moteurs exposés. Des inventeurs comme Bruce Meyer tirent avantage de la monocoque assemblée par des boulons : il suffit d’enlever la carrosserie et d’en boulonner une autre pour créer une nouvelle voiture. Le « Dune Buggy », Meyers Manx de son vrai nom, est né.

Hollywood embrasse aussi la sympathique petite voiture, depuis les studios Disney qui lui donnèrent vie sous les traits d’Herbie (Un Amour de Coccinelle) jusqu’à aujourd’hui dans la série Transformers où le personnage central prend les traits d’une Coccinelle jaune. La culture populaire embrasse la Volkswagen, faisant d’elle la voiture la plus imitée et déclinée de tous les temps.

Déclin disco

En 1977, le film Saturday Night Fever crève les écrans, et le disco fait rage. Il suffit de regarder un film de Chaplin pour comprendre que la pauvre Coccinelle est de plus en plus dépassée dans un monde bien différent de celui où elle est née. La fantastique Golf (Rabbit en Amérique du Nord) réinvente ce qu’est une sous-compacte et donne un sacré coup de vieux à sa voisine des salles de montre en 1975. Dès lors, Volkswagen simplifie son offre; la Super n’est plus offerte qu’en décapotable et le « sedan » revient à la coque étroite d’origine. 1977 sera la dernière année de vente de la Coccinelle à toit d’acier et le 10 janvier 1980, la dernière Super Beetle décapotable sort des usines du carrossier Karmann. C’est terminé pour l’Occident. Ou l’est-ce vraiment?

S’épanouir sous le soleil

La robustesse et la simplicité d’assemblage de la Volkswagen en a fait un produit bien adapté aux marchés émergents, dont les routes ne sont pas toujours en parfait état. Sous des cieux plus cléments, la modestie du chauffage ne faisait pas obstacle non plus. À son apogée, la Coccinelle était produite sur tous les continents, mais c’est en Amérique latine que se trouvait son château fort. La production arrivant à terme de par le monde, le Brésil et le Mexique s’accrochèrent à la voiture du peuple et c’est dans ce pays que son histoire entame le dernier droit.

La Coccinelle devient alors un assemblage de diverses composantes, récupérant volant, boutons voire sièges d’autres produits plus modernes aussi produits à Puebla. Elle devient plus modeste, ayant perdu ses chromes et autres coquetteries avec le temps. Mais même ici les problèmes de pollution la rattrapent; on lui greffe un catalyseur qui étouffe encore plus le petit moteur à plat. L’inévitable devait arriver : Volkswagen lance en 2003 la Ultima Edicion, l’édition ultime, une Coccinelle qui reprend les chromes et les flancs blancs de ses beaux jours. Produite à 2 999 unités, colorée de bleu ou de beige, elle marque la fin de la lignée automobile la plus longue de l’histoire. Plus qu’un simple nom, c’est un même produit qui traversa les époques, bénéficiant d’un incessant raffinement. Une seule pièce n’a jamais changé : le loquet du coffre. Plus de 21 millions de Coccinelles à moteur arrière ont été produites – 21 529 464 très exactement!

La New Beetle

L’originale est à son dernier repos, mais sa ludique silhouette n’a pas dit son dernier mot. Les rumeurs s’affolent, des prototypes sont créés, la Coccinelle renaîtra sous les traits de la New Beetle, élaborée sur la plateforme de la Golf. Une infolettre est créée pour faire patienter les fans pendant la gestation, et la mise en marché arrive enfin en 1998. La New Beetle fait sensation et apparaît sur toutes les tribunes, même dans les bulletins de nouvelles. Il faut dire que le néoclassique est en vogue, avec la PT Cruiser, la MX-5 Miata, le cabriolet Thunderbird et le retour de la MINI. Sa forme est très moderne, comme une sculpture inspirée de l’original. La position de conduite, au centre du véhicule, est étrange et les problèmes de qualité de la fabrication mexicaine de Volkswagen battent leur plein dans les premières années de la New Beetle. Sa réputation en souffre, l’effet « Wow! » s’étiole et les ventes refroidissent. Malgré tout, elle demeurera sur le marché jusqu’en 2011, la craquante version décapotable assurant un volume de ventes raisonnable.

Tout simplement Beetle

Pour son ultime renaissance en 2012, la New Beetle devient tout simplement la Beetle, plus voiture que sculpture cette fois. Sa forme épouse plus fidèlement les lignes de l’iconique originale, tandis que la mécanique et le châssis, empruntés à la sixième génération de la Golf, gagnent en raffinement. La qualité aussi, Volkswagen Mexique assurant depuis plusieurs années déjà les mêmes standards que les usines allemandes. Sa planche de bord plate, son grand volant au boudin bien mince, ses couleurs à la fois joviales et chics rappellent son ancêtre. Elle se révèle de plus une excellente routière, avec ce coup de volant incisif des Volkswagen d’aujourd’hui, et son prix est plus concurrentiel. La Beetle a même renoué avec une vieille tradition, s’attaquant aux circuits de rallycross avec brio. Mais le temps a fait son œuvre et la clientèle n’en a plus que pour les utilitaires… 2019 sera la dernière année de production, et une fois de plus la Coccinelle est envoyée à son dernier repos.

Est-ce vraiment la fin? Oui … et non. De nouvelles rumeurs, certaines émanant de Volkswagen même, pointent vers un possible retour de l’iconique silhouette, mais apposée cette fois sur un véhicule électrique…

Et cette belle histoire risque ainsi de continuer. Longue vie à la Coccinelle!